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DOSSIER Rencontre fortuite : Parmi la multitude de maîtres sculpteurs ayant contribué à l’histoire de l’art africaine, ceux dont on reconnaît le talent se comptent sur les doigts de la main et ceux dont le nom est arrivé jusqu’à nous sont encore plus rares. Le sculpteur camerounais Kwayep de Bamana (l’actuelle 90 Baména), né au XIXe siècle, fait partie de la seconde catégorie. On s’en souvient en grande partie grâce à sa rencontre avec l’auteur anglais Frederick Clement Christie Egerton,1 qui, durant l’été 1936, fut l’hôte de Njiké II, dixième roi de Bangangté (fig. 1), dans sa chefferie, ou village royal (fig. 2).2 Egerton publia des images de sculptures qu’il attribue à Kwayep. D’autre part, une remarquable figure de maternité créée par l’artiste, sur commande de Njiké II, est conservée au musée du quai Branly à Paris. D’autres oeuvres de Kwayep ont également subsisté. Aussi le propos de cet article consiste-t-il, d’une part, à narrer les destins croisés de Kwayep et d’Egerton, son principal documentaliste, mais aussi à identifier d’autres oeuvres réalisées par cet artiste majeur des Grassfields. Egerton à Bangangté Clement Egerton se retrouva à Bangangté, située dans la partie française du Cameroun (fig. 3), « plus par accident que par intention ».3 Au départ, il avait prévu de visiter la partie britannique du Cameroun, mais on lui avait conseillé de se rendre à Bangangté, une ville particulièrement intéressante car ses habitants étaient sympathiques et « pas encore civilisés ».4 Il avait étudié en Angleterre et assisté à des conférences données par le célèbre anthropologue Bronislaw Malinowski,5 l’un des fondateurs du travail ethnographique de terrain. Les méthodes de Malinowski exigeaient des chercheurs qu’ils observent et participent à la vie quotidienne des peuples étudiés pendant une longue période. Toutefois, le rôle d’Egerton à Bangangté demeure relativement vague. Dans le compte-rendu de son séjour à la cour de Njiké II, African KWAYEP DE BAMANA Par Bettina von Lintig Majesty: A Record of Refuge at the Court of the King of Bagangté in the French Camerouns, publié pour la première fois en 1938, il donne l’impression d’avoir été l’un des premiers touristes, mais aussi un « participant-observateur ». Il qualifia ses recherches ethnologiques à Bangangté de quelque peu « imprécises », peut-être parce qu’il s’intéressait davantage aux relations sociales entre les habitants de Bangangté et que son approche n’était pas scientifique au sens strict du terme. Bien qu’il ait documenté Kwayep et son art, il ne sembla s’intéresser aux arts et artisanats de Bangangté que de façon anecdotique. Destiné au grand public britannique, le livre d’Egerton présentait ses observations dans un style familier, sans jargon spécialisé et non dénué d’humour. « Je suis conscient », confessa-t-il, « de tous les défauts dans la présentation du matériel que j’ai rassemblé ».6 Pourtant, ses descriptions et photos de la vie quotidienne à la cour du roi illustrent très bien le moment où l’impact du colonialisme modifia considérablement le lieu qu’il étudiait. D’une manière rappelant les visions idéalisées des artistes européens d’avant-garde, il observa les existences, passions et modes de vie du peuple soi-disant primitif de Bangangté. Il rencontra des tisserands, des spécialistes en rituels, des devins, des artisans et des artistes (fig. 4 et 5). Ses récits nous livrent un bref – mais important – aperçu de la FIG. 1 : F. C. C. Egerton, 1936, N’jiké II, Tenth King of Banganté. D’après Egerton, African Majesty, frontispice. FIG. 2 : F. C. C. Egerton, 1936, General View of the King’s Village (Chefferie) from the Old Market-Place. D’après Egerton, African Majesty, plaque 7.


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