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LIVRES Ibeji : statues jumelles africaines Ojú kì í r’à rewà k’o ó má ki i Les yeux ne manqueront jamais d’accueillir le beau.1 Les ibeji, des statues de jumeaux sculptées par le peuple yoruba 136 du Nigeria et du Bénin, font partie des premières sculptures que les amateurs d’art africain découvrent. Dans le grand panthéon de l’art traditionnel de ce continent, leur présence est prépondérante. Créées par des artistes appartenant à l’un des plus grands groupes culturels d’Afrique occidentale, elles font office de demeures temporaires pour les esprits d’enfants jumeaux décédés pendant leur enfance. En tant qu’objets rituels, ces figures sont manipulées avec amour et le plus grand soin. D’abord par leur mère, puis, si celle-ci décède, par leurs soeurs et frères survivants. La manière dont les ibeji sont choyés, comme s’il s’agissait d’enfants vivants qui doivent être nourris et lavés, et dont ils sont ornés de précieuses amulettes et décorations corporelles telles que colliers, bracelets et bracelets de cheville, démontre l’importance accordée par les Yoruba à ces sculptures tenues pour des demeures d’esprits. La fabrication des figures ibeji s’étend sur un vaste territoire. Elles ont été créées à travers les siècles par des générations successives d’artistes faisant partie de l’une des traditions artistiques les plus prolifiques d’Afrique de l’Ouest. Ceci a donné naissance à une grande variété de styles régionaux. Certaines figures traduisent le talent d’artistes identifiés, tandis que d’autres ont été créées sous l’influence de maîtres de premier plan. On a donc assisté à l’apparition de sous-styles et de détails iconographiques reconnaissables afin de représenter ces statuettes masculines et féminines. Outre la création d’oeuvres d’art, destinées à souligner la puissance des rois et des chefs locaux ou la création de sculptures utilisées dans différents cultes yoruba, comme celui dédié à Shango, ou le rituel de divination, appelé Ifa, les figures ibeji nous plongent dans l’intimité des familles. Elles reflètent l’importance pour les hommes et les femmes yoÈre La collection Dos & Bertie Winkel Bruno Claessens (texte), Jean-Pierre Depienne (photos) Par Frank Herreman FIG. 1: Ramanu Iyanda holding a pair of figures representing his father’s young sisters. Image from p. 147. Reproduced with the kind permission of Deborah Stokes. ruba d’avoir des enfants. Elles leur donnent un moyen d’assurer leur descendance à travers la réincarnation. Férus d’art africain, Bertie et Dos Winkel ont trouvé leurs premières figures ibeji au cours de l’un de leurs nombreux séjours en Afrique. Ils se mirent alors à les collectionner avec ferveur et constituèrent un ensemble d’une grande qualité aux typologies très variées. Ensuite, ils commencèrent à s’interroger sur l’identité réelle de ces remarquables figures, sur la nature des artistes qui les avaient créées ainsi que sur les peuples auxquels elles étaient destinées. C’est alors qu’ils eurent l’idée de documenter leur collection et, par la suite, d’y consacrer un livre. Ils firent appel à Bruno Claessens pour en être l’auteur. Celui-ci apporta un certain nombre de réponses à leurs questions en explorant minutieusement les nombreux ouvrages dédiés à la culture Yoruba. Son texte permet de mieux situer les ibeji de la collection Winkel. Les nombreuses et remarquables photos de Jean-Pierre Depienne permettront également aux détenteurs des oeuvres, ainsi qu’à tout collectionneur de figures ibeji, de mieux cerner cette production. L’ouvrage les aidera à attribuer des pièces à des artistes particuliers ou à des ateliers ainsi qu’à identifier des styles régionaux. En outre, ce livre les renseignera également sur le contexte d’utilisation de leur ibeji. Il leur procurera des informations intéressantes à propos des motifs de scarification sculptés sur le corps, des différentes coiffures régionales et des représentations sculptées des décorations dont ils découvriront l’importance. Le livre nous fait prendre conscience que les figures ibeji abritent les âme des enfants décédés dans la perspective d’une réincarnation. Choyées et nourries, tout comme leurs autres enfants qui sont toujours en vie, elles sont bien plus que de simples oeuvres d’art. Note 1. D’après Fabunmi (Michael), Ayayo Ijinle Ohun Enu Ifè, Ibadan, 1972.


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