Page 118

CoverT70 FR corr_Layout 1

Sur les traces de W. M. Gabb et de son bâton Iguane ancien 116 Par David Bernstein avec l’aide de Dicey Taylor HISTOIRE d’objet Le musée national de République dominicaine, le Museo del Hombre Dominicano, expose un objet prêté, voici plus de dix ans, par la Smithsonian Institution. Il s’agit d’un grand bâton remarquablement sculpté qui apparaît dans le Twenty-Fifth Annual Report to the Secretary of The Smithsonian (Vingt-cinquième rapport annuel au secrétaire de la Smithsonian) publié en 1907 par Jesse Fewkes, un mémoire qui documente quelque six cent trente spécimens d’antiquités des Caraïbes achetés par Fewkes pour le compte de la Smithsonian entre 1903 et 1905.1 Le rapport de Fewkes constitue une source précieuse pour les spécialistes, car Fewkes illustrait non seulement les oeuvres acquises pour la Smithsonian, mais également celles qui se trouvaient déjà dans la collection du musée ainsi que d’autres figurant dans des collections privées. Fewkes décrit la pièce en question comme un bâton de cérémonie caribéen récolté à Saint-Domingue par W. M. Gabb.2 Il évoque brièvement Gabb, et malgré son vif intérêt pour les Taïnos, peuplant Hispaniola et Porto Rico à l’époque où Colomb arriva pour la première fois aux Caraïbes, il ne parvient pas à comprendre l’imagerie du bâton : « L’animal représenté est inconnu, mais il semble posséder une longue queue comme un lézard et un museau pareil à celui d’un mammifère. La particularité notable de cet objet est la représentation d’un oiseau au sommet de la tête. » Par conséquent, le bâton n’est pas intégralement représenté dans le rapport de Fewkes. Seule la partie supérieure comportant le lézard avec une coiffe en forme d’oiseau est illustrée, au côté d’un bâton assez quelconque montré dans sa totalité. La pièce mesure soixante-dix centimètres de haut par dix centimètres de diamètre, et le lézard, un iguane, occupe une bonne part de la partie supérieure. Les Taïnos ne sont pas connus pour réaliser ce genre d’anthropomorphisation de l’iguane et celle-ci n’est pas sculptée dans leur style artistique propre. Elle revêtit toutefois une grande importance pour la culture moche, qui prospéra dans les vallées fluviales du nord du Pérou de 100 à 700 apr. J.-C. environ. En effet, l’importante divinité appelée Iguane est amplement mise en évidence dans l’art moche et souvent observée en association avec une autre figure baptisée Visage ridé.3 Selon les canons moche, l’Iguane est généralement représenté portant une coiffe en forme d’oiseau, peut-être parce que les iguanes sont dotés d’une ouïe sensible et qu’ils écoutent les cris des oiseaux pour se protéger des prédateurs.4 Il existe des récipients effigies moche en terre cuite illustrant l’Iguane et même sa coiffe aviaire survit à la mort. Sculptée dans du bois, il s’agit d’une oeuvre moche majeure émanant d’une culture dont on se souvient essentiellement pour ses petits objets de poterie et moulages en or et en cuivre. La question qui se pose est évidente. Comment une pièce péruvienne si rare s’est-elle retrouvée à Saint-Domingue et a-t-elle été attribuée aux Taïnos ? Et pourquoi fut-elle publiée comme telle voici plus d’un siècle ? Est-il possible qu’elle ait atteint les Caraïbes à une époque ancienne à la suite d’échanges commerciaux avec le continent sud-américain ? Ou est-elle arrivée plus tard en même temps que les esclaves transportés par les Espagnols depuis l’Amérique du Sud jusqu’aux Caraïbes ? Le seul véritable indice est à chercher du côté de W. M. Gabb, qui en fit don à la Smithsonian en 1877. Mais qui était cet homme ? L’enquête pour répondre à cette question fut toute une aventure ! J’ai commencé par effectuer des recherches en bibliothèque à New York, fascinantes, bien que parfois vaines. J’ai découvert le rapport géologique de Gabb sur la République dominicaine à la bibliothèque Goldwater du Metropolitan Museum of Art. J’ai également trouvé des informations concernant sa biographie, publiée à Philadelphie en 1909 par William Healey Dall, mais la Goldwater ne disposait d’aucun exemplaire. Quant à la bibliothèque publique de la ville de New York, elle avait, Dieu sait comment, égaré le sien. Le département de géologie de l’université de Columbia en possédait un, mais ne m’autorisa pas à le photocopier. J’ai finalement pu obtenir une copie numérisée que la bibliothèque Linda Hall de Kansas City m’envoya par e-mail.5 Je me suis alors rendu à Washington, D.C., où j’ai consulté quelque soixante-quinze documents sur microfiches à la Smithsonian Library, notamment les lettres manuscrites de Gabb envoyées au secrétaire Baird concernant son travail en République dominicaine et les objets envoyés au musée dans les années 1870. Ces lettres sont les seuls documents FIG. 1 : Bâton du dieu Iguane. Moche, Pérou, 100-700 apr. J.-C. (longtemps tenu pour un bâton taïno). Bois. H. : 70 cm. Ex. Coll. William M. Gabb, Philadelphie. National Museum of Natural History, Smithsonian Institution, inv# 005890/A42664-0. En dépôt au Museo del Hombre Dominicano, République dominicaine. Avec l’aimable autorisation de la Smithsonian Institution.


CoverT70 FR corr_Layout 1
To see the actual publication please follow the link above