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107 leurs motifs gravés qui suscitent de légitimes questionnements. Ainsi, si l’on regarde attentivement l’embout plat de la cuillère de la figure 1, on se rend compte qu’un signe très peu congolais y fut légèrement incisé : un hexagramme ! Bien qu’atypique, ce signe ne nous était pas complètement étranger car lors de précédentes recherches dans les collections du MRAC nous avions été confronté à plusieurs autres objets provenant du nord-est de la RDC qui présentaient également l’allochtone emblème. Nous avions ainsi retrouvé ce signe gravé au culot d’un contenant présenté comme un mortier à tabac réalisé dans une dent brute d’hippopotame. L’objet avait été collecté en 1894 chez les Nzakara habitant le long du Bomu (fig. 18). Par ailleurs, quelques glaives de type ababua faisant partie des anciennes collections du MRAC, vraisemblablement collectés avant 1897, l’arboraient sous forme de poinçon (fig. 19). La présence de ce motif sur différents objets pourrait s’expliquer par les liens historiques et culturels qu’entretenait cette région du nord-est de la RDC avec le réseau commercial arabo-soudanais. En effet, l’hexagramme, considéré en tant que Khâtem Souleïmân (sceau de Salomon) est souvent présent sur les djedouel (tableaux ésotériques) faisant partie intégrante de divers h’erz (amulettes, talismans) utilisés en terre d’islam, notamment au Maghreb. Comme le résume fort à propos E. Doutté : « Le sceau de Salomon est extrêmement populaire dans toute l’Afrique, on le porte en amulette et surtout on le dessine sur les portes des demeures ; beaucoup de personnages l’adoptent comme cachet. » (Doutté, rééd. 1984, p. 157-158). Ainsi donc, notre cuillère, nos glaives et notre mortier témoigneraient d’une appropriation par les populations locales d’un signe mystique apporté par le biais des commerçants islamisés présents dans la région. Pour étayer notre hypothèse nous préciserons que cet engouement pour des signes mystiques allochtones fut constaté en d’autres endroits de l’ex-Congo belge. Ainsi, dès les années 1930, les populations du Bandundu (dont les Yanzi) acquéraient auprès de marchands haoussa et européens divers « gris-gris » tels que bagues, médailles ou talismans d’origines variées (Swartenbroeckx, 1969, p. 224-225). Toutefois, une autre hypothèse est également possible : l’hexagramme peut avoir été apposé par le collecteur ou le possesseur européen des objets dans le but de « marquer » sa collection. On notera que la cuillère de la figure 1 et le glaive de la figure 19, objets dont le ou les collecteurs demeurent inconnus, présentent le même défaut dans la réalisation du sceau de Salomon, à savoir la présence d’un deuxième hexagramme recouvrant maladroitement le premier. Ceci laisse entendre que le motif fut peut-être réalisé par le même graveur, qu’il fût européen ou africain. CUILLÈRES EN IVOIRE Le cas du mortier de la figure 18 est plus intéressant dans la mesure où nous connaissons son collecteur qui n’est autre que le Baron V. de Crombrugghe de Looringhe. De fait, il existe une raison qui aurait pu pousser ce possesseur à utiliser une variante de l’étoile à six branches comme marque distinctive. En effet la noble famille des de Crombrugghe de Looringhe arbore un blason de gueules à trois molettes d’éperon d’argent. Or, il est utile de préciser ici qu’en langage héraldique la molette d’éperon peut, comme cela est le cas sur le blason des Crombrugghe de Looringhe, affecter la forme générale d’un « hexagramme plein ». Néanmoins, nous devons reconnaître ne pas avoir retrouvé ce signe sur d’autres objets que nous avons pu étudier, ayant appartenu à V. de Crombrugghe de Looringhe. Une cuillère mongwandi Parmi les objets des anciennes collections du MRAC, se trouve une cuillère en ivoire unique en son genre (fig. 20). Les quelques notes originales accompagnant cette pièce laissent entendre qu’elle fut collectée chez les Mongwandi (Ngbandi). Cette attribution peut être en partie vraie dans la mesure où les Ngbandi connaissaient un type de cuillèrespatule en bois dont le cuilleron affecte plus ou moins la forme d’une chaussure italienne, forme que l’on retrouve sur notre figure 20. Chez les Ngbandi, ces cuillères-spatules d’une cinquantaine de centimètres étaient connues sous le nom de mopambi et servaient à la préparation des aliments (fig. 21). La cuillère-spatule de type « croquenot » ne se limite pas aux seuls Ngbandi et on la retrouve chez d’autres populations telles que les Mongelima-Angba, les Bobati, les Sango ou bien encore les Zande. Les Zande et les Sango nomment cette cuillère-spatule papa et les Bobati epwopota. Il existait également un « modèle réduit » de ce type de cuillère qui était très certainement utilisé pour consommer des bouillons ou des bouillies. Ces « modèles à bouillon » que l’on connaît chez les Sango et surtout chez les Yakoma4 mesurent normalement entre quinze et vingt-cinq centimètres et ne possèdent pas de manche-spatule (fig. 22 et 24). Pour ce qui est des Zande, il est intéressant ici de remarquer que sur l’ensemble des grandes cuillères à préparation culinaire qui leur est attribuable (cuillères-louches et cuillères spatules), nous arrivons à un quota de dix cuillèreslouches (fig. 8) pour une cuillère-spatule. Ceci laisse entendre que le modèle ne s’est pas forcément bien implanté chez eux et qu’ils n’en sont vraisemblablement pas les inventeurs. Dans l’attente d’autres recherches, j’émets l’hypothèse selon laquelle l’origine de ces cuillères-spatules soit à rechercher chez les Yakoma ou les Sango, populations chez qui le modèle semble avoir été assez fréquent.


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