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DOSSIER 100 ses mains, et prenant une pose évoquant la douleur ou le chagrin. Bien que Njiké II reconnût ce témoignage, Egerton ne sut pas quoi faire de cette figure. Il la disposa sur sa terrasse, aux côtés d’autres objets fabriqués dans la région et d’un certain nombre d’éléphants en ébène importés et destinés à servir de serre-livres (fig. 26).34 Conclusion Malgré le manque d’informations disponibles sur les artistes en tant qu’individus au Cameroun – et ailleurs en Afrique – du XIXe siècle au milieu du XXe siècle, les récits et photos dont il est question dans cet essai fournissent une vue d’ensemble d’une période s’étendant sur trente ans environ. Les exemples que j’ai présentés tendent à soutenir l’idée selon laquelle l’atelier de Bawok, où Kwayep et d’autres travaillaient, n’imposait pas une dichotomie opposant tradition et innovation. Coexistence et mélange étaient acceptés et pratiqués, et des artistes comme Kwayep mariaient l’ancien au nouveau par le biais de l’introduction de nouvelles techniques et tendances quand l’occasion se présentait. Durant sa vie et sa carrière artistique, Kwayep adapta son travail aux changements culturels se produisant autour de lui. Si l’on compare le support pour calebasse du Cantor ou la figure du garçon – des oeuvres réalisées probablement au début ou au milieu des années 1930 – à la célèbre figure de la mère et son enfant du musée du quai Branly, il devient évident que le style artistique de Kwayep a évolué. La mère et son enfant et la figure à cariatide de Mannheim, oeuvres des débuts, semblent être plus animées et dynamiques sur le plan de la conception que les deux autres créations. Les objets plus anciens, notamment la figure divinatoire, sont sculptés plus librement, tandis que le splendide support pour calebasse, la figure du garçon, la figure perlée portant un récipient et le tabouret humain / animal sont plus harmonieux, réguliers, et structurés comme des sculptures. L’évolution et le développement de Kwayep ont peut-être consisté à remplacer la vigueur juvénile de ses débuts par une approche artistique plus prudente et réfléchie. Mes plus vifs remerciements vont à David F. Rosenthal pour sa traduction de cet essai en anglais. Merci également à Barbara Thompson pour ses suggestions et commentaires précieux. Cet article s’appuie sur celui paru dans le Cantor Arts Center Journal, vol. 7, Université de Stanford, 2010–11. angle lorsqu’on la regarde de profil, de même que la liaison angulaire de la figure avec l’assise elle-même, sont particulièrement importantes. Toutes ces caractéristiques constituent la marque de fabrique des oeuvres de Kwayep. Malheureusement, le lieu d’origine de cette oeuvre intéressante demeure inconnu. Les ateliers d’artistes des Grassfields et les objets créés par les individus qui en faisaient partie possèdent une dimension économique, mais aussi culturelle et sociale. L’exemple de Kwayep le démontre : les artistes exécutaient des commandes locales – en l’occurrence, celles d’un visiteur occidental – et tenaient compte des exigences qu’on leur imposait, mais également des attentes de ceux qui avaient commandé ces oeuvres. On ne peut affirmer avec une certitude absolue que la figure féminine à cariatide « blanche » pour calebasse et les figures à cariatides noires et blanches réalisées pour Egerton furent réellement exécutées par Kwayep, car il est possible qu’il ait confié le travail à des apprentis ou des collaborateurs travaillant dans le même atelier. 32 Du point de vue stylistique, il semble probable qu’elles furent effectivement sculptées par d’autres, bien que certains éléments, comme les motifs sculptés sur les bords supérieurs, les relient clairement à Kwayep, tout comme le relatent bien entendu les écrits d’Egerton. Un autre tabouret illustré en plaque 70 dans African Majesty présente certaines affinités en matière d’éléments faciaux et de décoration des bords avec le support pour calebasse et le tabouret réalisés par Kwayep pour Egerton, mais s’éloigne encore davantage du style associé à sa propre technique. Ceci confirme le fait que ces derniers sont des sculptures d’atelier. Le garçon assis ressemble bien plus aux oeuvres que l’on suppose sculptées par Kwayep lui-même. Comme indiqué plus haut, outre Kwayep, Egerton rencontra deux autres artisans. Élément important pour notre compréhension des ateliers, ces deux personnes affirmaient également devoir leur technique aux ateliers de Bawok. Le bois nécessaire aux sculptures ne se trouvant pas facilement à Bangangté et dans les alentours, les deux frères, attendus par Egerton, eurent plusieurs jours de retard. L’un deux était principalement charpentier et travaillait à la construction de maisons. L’autre commença à créer une sculpture dans la cour d’Egerton sous les yeux de ce dernier. Le charpentier et le sculpteur avaient apporté un « gros morceau de bois brut d’environ un mètre de haut ». Ils avaient également amené leurs outils dans un sac en textile portant l’inscription « Fabriqué en Angleterre ». Il contenait « deux burins » que le sculpteur avait hérités de son père, « un maillet court en bois lourd semblable à une massue, en forme de poire » et une machette.33 Ils réalisèrent une figure en position accroupie avec un estomac enflé, tenant ses joues gonflées dans FIG. 22 (EN HAUT) : F. C. C. Egerton, 1936, Réceptacle à céréales sculpté par Kwayep de Bamana.. D’après Egerton, African Majesty, plaque 72. FIG. 23 : F. C. C. Egerton, 1936, Tabouret fabriqué par le sculpteur de Bamana. D’après Egerton, African Majesty, plaque 71.


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