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Les musées ont longtemps figuré au nombre de nos institutions culturelles les plus appréciées. Ils ont été un des principaux véhicules qui permettaient, dans le monde actuel, de donner à l’art toute la visibilité, la légitimation et la signification qu’il mérite. Le terme “musée” dérive du grec mouseion (ΜΟΥΣΕΙΟΝ pour les puristes). Le mot apparaît comme une référence aux “festivals des Muses” dans les écrits d’Eschine (389 – 314 av. J.-C.), lorsqu’il rapporte une discussion plutôt vive à propos des règles et des restrictions qui gouvernent les relations entre professeurs et jeunes Athéniens. L’usage moderne du terme se manifeste beaucoup plus tard. Alors que beaucoup reconnaissent à présent que les anciens Grecs exposaient dans certains temples, au titre de curiosités, les restes fossilisés d’espèces animales plus anciennes encore ou… nous ne savons pas exactement pourquoi (voir le fascinant ouvrage d’Adrienne Mayor “The First Fossil Hunters”, 2000/2011), le mot mouseion n’était pas associé à ce type d’exposition d’une curiosité ou d’une oeuvre d’art. À la période hellénique, pourtant, il s’appliquait à une “institution des muses”, une sorte d’institution scolaire comparable à l’université où professaient des personnes instruites qui se rassemblaient pour étudier et perpétuer des disciplines apparentées aux muses : philosophie, musique (qui présente un rapport étymologique clair avec le musée), science et poésie. La plus éminente de ces académies se trouvait à Alexandrie et comprenait la fameuse bibliothèque fondée par un des premiers Ptolémée (l’histoire ne nous dit pas clairement lequel) et spectaculairement détruite quelques siècles plus tard (l’histoire est tout aussi muette sur la date et les circonstances de cette disparition). Le fait que cette institution ne présente aucun lien évident avec les arts visuels est tout à fait naturel puisqu’elle était associée aux muses helléniques — qui étaient trois, quatre ou neuf selon la période concernée — et qu’aucune d’elles n’était rattachée aux arts visuels. L’art (et apparemment les squelettes de dinosaures) occupait une place différente dans ces sociétés, et la fonction du mouseion, centrée sur la connaissance, revêt peut-être plus de sens pour cette culture, si l’on se souvient du mépris dans lequel Platon tenait tout ce qui avait trait à l’art : “Nous aurons raison de refuser de l’admettre il parle du poète, mais nous pouvons l’assimiler à l’artiste visuel : il est considéré comme pire encore dans un état bien ordonné car il éveille, nourrit et renforce les sentiments, et affaiblit la raison. … Car il se montre indulgent pour la nature irrationnelle qui n’opère pas de discernement entre ce qui est grand et ce qui l’est moins, mais pense que la même chose peut être parfois grande et parfois petite — c’est un créateur d’images et il se trouve bien éloigné de la vérité.” (La République, livre X). Le sens moderne du mot “musée” date du XVIIe siècle. Il est alors utilisé pour décrire des collections d’objets qui étaient employés pour promouvoir l’étude et renforcer la connaissance. Les collections de Ole Worm à Copenhague et de John Tradescant à Londres ont été constituées à cet effet, bien qu’elles l’aient été en tant que collections d’objets plutôt que comme institutions au sens propre. Le Tradescant’s Musaeum Tradescadtianum a finalement déménagé en 1683 pour devenir l’Ashmolean Museum d’Oxford qui a installé ses stimulantes collections de curiosités et d’art dans un bâtiment conçu à cet effet. Nous pouvons aisément imaginer la suite mais ce qui est crucial est que des oeuvres d’art, des spécimens scientifiques et d’autres oeuvres éphémères se soient ainsi vu installer dans une résidence permanente où, tout comme la connaissance dans les bibliothèques de l’Antiquité, elles ont été associées à l’étude et à la recherche. Dans la mesure où tout ce passé historique se trouve enfermé dans un mot de deux syllabes à peine, il n’est pas surprenant que les musées soient souvent perçus comme une des institutions les plus inviolées de la culture occidentale. Bien qu’ils donnent quelquefois l’impression d’être un peu encroûtés, les musées sont extrêmement populaires. Les statistiques publiées en 2008 par la National Public Radio situent à 850 millions le nombre annuel d’entrées dans les musées des États-Unis soit, étonnamment, quelque six fois le nombre d’entrées enregistrées pour une combinaison de tous les principaux sports professionnels. Les musées sont généralement soutenus par l’État et par la générosité de donateurs dont certains se trouvent détaillés dans les pages qui suivent, et ils font partie intégrante du paysage culturel de la plupart des grandes villes. Qui sont-ils ? Aux Pays-Bas, un important musée d’ethnologie a récemment connu des temps difficiles. Le vénérable Institut Royal des Tropiques (Koninklijk Instituut voor de Tropen), fondé à Amsterdam en 1864, s’est trouvé dans une impasse budgétaire irréversible et s’est battu de toutes ses forces pour en sortir, adoptant des mesures extrêmes comme des licenciements et la recherche de nouveaux amis. Sa sentence de mort a été annulée pour quelques années par le gouvernement néerlandais, mais elle persiste, comme un texte reste gravé sur un mur. Et que se passe-t-il quand une ville entière tombe en faillite (nous pensons à vous, citoyens de Detroit) ? Les musées publics sont généralement la propriété de la ville qui les abrite, et leurs collections font partie des actifs de la municipalité, au chapitre 9 “classements”. Les médias étasuniens ont tenu une réunion sur le terrain, prétendant que la collection du “Detroit Institute of Arts“ pourrait être liquidée pour payer la dette de la ville estimée à 18 à 20 milliards de dollars. Au moment où nous mettons sous presse, nous ne disposons d’aucune indication précise et ne savons pas si une telle mesure est projetée ou même envisagée par qui que ce soit d’autre que des médias particulièrement excités. Mais cela pose de très intéressantes questions. Au cours d’un déjeuner, il y a quelque temps, un ami conservateur de musée abordait l’hypothèse pertinente que, dans le futur, la préservation d’une oeuvre d’art n’est pas nécessairement liée à son dépôt dans la collection d’un musée. Un tel dépôt peut s’avérer très instable puisque, mis à part l’exemple extrême mentionné ci-dessus, les institutions raffinent fréquemment leurs collections en aliénant des objets qu’ils jugent redondants ou simplement sans valeur. Par contre, sa préservation future peut résider dans sa valeur sur le marché de l’art. Au vu des prix de vente records obtenus cette année par de l’art océanique mis en vente chez Christie’s et par de l’art précolombien chez Sotheby’s, on peut considérer que l’explosion des prix signifie que l’objet lui-même revêt une grande valeur aux yeux de son propriétaire et que, sauf rares exceptions, il s’agit d’un objet qui requiert le plus grand soin, soit par amour de l’art, soit pour des raisons financières. Un million de dollars ne représente plus une pièce rare dans l’univers de l’art tribal, mais bien le signe que l’on se trouve en présence d’un objet particulièrement raffiné. Qu’il s’agisse d’un montant de cet ordre ou du prix généralement plus accessible pratiqué par les galeries et dans les expositions comme le prochain Parcours des Mondes à Paris, la hausse des valeurs peut signifier certes que le collectionneur consent un sacrifice financier pour se procurer une belle pièce, mais signifie aussi que l’oeuvre en question va jouir d’une vie longue et pleine d’attentions. Jonathan Fogel Éditorial Notre couverture avec la collection de Nouvelle-Irlande de Nolde à Seebüll. © Nolde Stiftung, Seebüll.


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