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DOSSIER 134 peuple de Sabah (Regis et Lojiwin, 2012), deux groupes qui entretenaient peu de contacts avant la moitié du XXe siècle. Si, pour les dessins complexes, la diffusion semble plus probable, il existe peut-être une autre raison, selon laquelle ces dessins appartiendraient à un ancien héritage culturel commun de Bornéo qui aurait survécu séparément dans divers groupes. Les motifs et dessins ont également évolué en empruntant des chemins différents, variant, au gré des styles et de l’habileté ethniques, dans la stylisation, l’expansion ou la réinterprétation (Bléhaut, 1997, Sellato, 1989). Ainsi, malgré les contraintes techniques, la créativité locale a permis le développement d’une immense variété de motifs et dessins décoratifs, dont beaucoup sont devenus propres à certains groupes ethniques, voire emblématiques de certaines régions. Les noms attribués aux motifs et dessins de tressage proviennent de plusieurs sources : le plus souvent de la nature environnante (« fleur », « scorpion ») ou de produits manufacturés Hormis certains motifs simples rencontrés pratiquement partout, comme mentionné plus haut, d’autres, tout aussi basiques, apparaissent sous différents noms. À titre d’exemple, le motif du triangle est appelé « pousse de bambou » par les Iban (Bléhaut, 1997, comme ailleurs dans le monde malais), « bourgeon d’areca » par les Ngaju (Klokke, 2012), « pointe de lame » par les Kenyah Badeng (Davy Ball, 2009), et soit « épine de durian » soit « coude de chauve-souris » par les Aoheng. Les motifs figuratifs prennent, eux aussi, des noms variés. Par exemple, le motif du torse, représentant la partie supérieure du corps ou une silhouette humaine les mains sur les hanches et habituellement nommée « personne », est appelé « lames » par les Kenyah (Davy Ball, 2009) et « cerf-volant » par les Ngaju. Dans certaines communautés, « de nombreux motifs ont totalement perdu leur nom » (Davy Ball 2009). Puisque les motifs sont toujours utilisés, il semble donc que la relation entre le motif et le nom par lequel il est désigné soit souvent dénuée de pertinence ou de cohérence. Plusieurs experts ayant dressé des inventaires de motifs (Klausen, 2012 ; Klokke, 2012 ; Lenjau, Sirait, et Sellato, 2012 ; Tillema, 2012 ; Van der Hoop, 1949) soulignent la difficulté d’interpréter des motifs par l’entremise de leur nom. En matière de signification et d’interprétation des motifs et dessins, les sources varient considérablement. En décrivant les Iban, Heidi Munan et Janet Rata Noel (2012) expliquent que « chaque artisane attribue un nom au tapis terminé comme bon lui semble ». Il se peut qu’un nouveau dessin lui soit révélé dans un rêve et qu’elle seule soit en mesure de « raconter toute l’histoire » qui se cache derrière un dessin de tapis. En 1951, Arnold H. Klokke interrogea la maîtresse tresseuse Ngaju Mirentje Bahoei sur un tapis narratif élaboré qu’elle avait tissé cette année-là. L’histoire qu’elle raconta en détail relate le mythe de l’origine mihing (Klokke 2012). À l’inverse, Mashman, à propos des Kelabit, conclut que le motif ou dessin « ne représente pas l’objet d’après lequel il est nommé », car « les tisserands kelabit eux-mêmes disentque‘les motifs n’ont pas de signification ’» et que nous devrions « considérer le nom donné à un motif comme un simple aide-mémoire » (Mashman, 2012). Les interprétations divergent également concernant les tissus pua’. Toutefois, comme l’indique Bléhaut (2010), une telle « étiquette » en tant que moyen mnémotechnique est précisément ce qui subsistera lorsque tout ce qui touche à un motif sera oublié. Dans certains cas, une histoire plus ou moins élaborée entourant un dessin est sans équivoque. Le dessin namboyunan (« fou ») des Murut est supposé représenter le parcours d’une femme qui se perdit dans la jungle et erra jusqu’à sombrer dans la folie (Woolley, 2012). Bien qu’il puisse s’agir d’une explication donnée a posteriori, l’élément important ici est qu’un dessin est lié à un récit, au-delà de son nom. (« crochet »), et parfois du nom de la personne qui inventa le motif ou l’importa pour la première fois (« motif de Mme X »), d’un groupe ethnique voisin duquel le motif est originaire (« motif Penan »), d’un personnage mythique ou divin censé être illustré dans ou par le motif, ou même d’événements historiques de la plus haute importance. Les points de vue des spécialistes divergent depuis longtemps quant à l’importance du nom d’un motif pour comprendre sa signification et sa valeur symbolique (Bléhaut, 2012). Cette question fait l’objet d’un débat depuis l’époque coloniale et, tandis que le sujet de cette discussion a essentiellement porté sur les textiles, il en va assurément de même pour le tressage décoratif. Dans tous les cas, comme beaucoup l’ont constaté, les noms des motifs varient fortement d’un groupe ethnique à un autre, et au sein d’un même groupe, « même les experts s’opposeront » (Haddon et Start, 1982, citant Hose et McDougall, 1966). FIG. 22 (ci-dessous) : Un long tapis étroit comprenant trois diamants en son centre et des rangées de motifs de pousses de bambou aux deux extrémités. Région du fleuve Kayan. Collection J. B. Spurr. Photo : D. Bonstrom. FIG. 23 (en face) : Tapis comprenant trois rangées de motifs et des coins noirs et blancs en alternance. Punan de Belayan ou Apo Kayan, est de Kalimantan. 183 x 123 cm. Collection et photo : John Barker.


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