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marchands tels Paul Konietzko à Hambourg. Heinrich se spécialise dans des pièces provenant des colonies allemandes et voyage dans toute l’Allemagne en demandant à d’anciens colons s’ils n’auraient pas rapporté des objets. Avant la guerre, il déménage à Stuttgart, et en 1948, il reçoit une dérogation spéciale de la branche en charge des restitutions au sein du département militaire américain des monuments, beaux-arts et archives l’autorisant à rouvrir son musée du Pacifique et de l’Afrique. Comme Brignoni, Heinrich a beaucoup d’admiration pour l’ensemble des oeuvres d’art provenant de l’archipel Bismarck. Il possède également de nombreuses pièces provenant de Nouvelle 120 Bretagne et des îles de l’Amirauté. En cela, il se différencie de la plupart des collectionneurs du moment et même de l’époque postérieure, qui pour la plupart se focalisent exclusivement sur l’art de la Nouvelle-Irlande. Avec le temps, l’essentiel de sa collection se concentre sur l’art de l’archipel Bismarck. Il va jusqu’à faire construire une maison séparée de la sienne destinée à tout y entreposer. Il surnomme cet endroit étonnant son Kannibalen Haus, et il y accueille quantité de visiteurs venus du monde entier – Paris, Londres, New York , qui y dégustent bouteilles de vin et y fument le cigare ou la pipe (fig. 19 et 21). À leur départ, les visiteurs sont priés de laisser leur carte, un mot ou un commentaire dans son livre d’or. Nombreux sont ceux qui laissent des croquis des objets les plus mémorables. L’un de ces dessins, fait par Brignoni le 10 avril 1951, représente la formidable figure uli, l’une de celles dont il fera l’acquisition plus tard. Il en possédera plusieurs au cours de sa vie (fig. 22). La collection Heinrich est extraordinaire en ce qu’elle comprend une incroyable variété d’objets, masques exceptionnels et pièces rares, des oeuvres qui n’ont pu être rassemblées qu’au terme d’une quête assidue menée durant plusieurs décennies. Elle sera dispersée en 1967 dans une vente aux enchères à Parke-Bernet à New York, et plusieurs de ses pièces rentreront dans d’importantes collections telles que celle du musée Barbier-Muller à Genève ou encore au Metropolitan Museum à New York. Henry Moore, pour sa part, est considéré comme l’apôtre du modernisme anglais. Avec les encouragements d’un professeur d’école admiratif, il se décide très tôt à devenir sculpteur – non pas un embellisseur de bâtiments ou d’églises, qui travaille sous la direction d’architectes –, mais un artiste ayant l’ambition de créer librement des oeuvres à part entière. Moore quitte le Yorkshire pour Londres en 1921, en ayant obtenu une bourse du Royal College of Arts. À l’époque, il est l’un des six ou sept étudiants en sculpture de l’établissement et on lui attribue son propre atelier ainsi qu’un modèle vivant à partir duquel étudier. Cette même année, Moore visite pour la première fois le British Museum et, à partir de ce moment-là, s’y rend deux fois par semaine pour une session de deux à trois heures, allant de pièce en pièce. Rompant avec les idéaux classiques romains et grecs qui sont à la base des études d’art à l’époque, Moore cherche sa propre voie et trouve ce qu’il cherche dans l’art primitif, archaïque et tribal. Il affirme que les neuf dixièmes de son apprentissage et de sa compréhension de la sculpture seront le résultat de ses travaux d’étude au British Museum. Dans les années 1920, le seul autre sculpteur pour lequel Moore a du respect est Jacob Epstein. Il n’oubliera jamais le jour où ce dernier l’emmena voir sa collection de sculptures primitives (fig. 23). La chambre est tellement remplie d’objets qu’il se demande comment Epstein réussit à rentrer dans son lit sans rien faire tomber. Lui-même aurait aimé, à l’époque, collectionner l’art tribal, sachant que cet art fait fureur à Paris, mais il sait bien qu’avec son allocation de 90 livres par an, les 10 livres pour une bonne sculpture d’art africain sur le marché de Caledonian Road lui sont tout bonnement inaccessibles. 19 Il s’intéresse particulièrement aux sculptures africaines et océaniennes et trouve au British Museum des vitrines et des boîtes remplies à ras bord d’objets absolument merveilleux. Il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir. Moore trouve l’appellation « primitive » trompeuse, suggérant quelque chose de grossier et sans compétence. « Il était évident pour moi que ces artistes n’essayaient ni n’échouaient à représenter la forme humaine avec réalisme, mais simplement obéissaient à leurs propres traditions prédéfinies. L’existence d’un tel panel de traditions en dehors de l’art européen est une révélation et un moteur. Je pris l’habitude de dessiner nombre de ces sculptures, parfois sur n’importe quel bout de papier que j’avais sur moi, parfois dans des carnets de croquis. Et bien sûr, certaines d’entre elles influencèrent mon travail plus tard ».20 Moore a ses préférences pour certaines sculptures au musée et il passera beaucoup de temps à les regarder, les étudier et se les remémorer. Il tire son inspiration de certaines facettes des oeuvres, quelques éléments lui dévoilant des vérités importantes. Les sculptures malangan découvertes dans la section sur l’art océanien, d’après lui, seront déterminantes pour la direction prise par son oeuvre. « Les sculptures de la Nouvelle-Irlande m’impressionnèrent particulièrement, notamment par l’emploi de formes imbriquées les unes dans les autres. Je réalisai à quel point la part de mystère contenue dans un objet était rendue plus DOSSIER FIG. 23 : Adrian Allinson, « Epstein Doubting the Authenticity of a South Seas Idol », feutre et encre, 1914. Collection privée FIG. 24 : Masque Matua de Nouvelle-Irlande, collectionné entre 1896 et 1899 par le père Rascher et Richard Parkinson. Herz- Jesu-Mission, MCS Schwesterngemeinschaft, Munster-Hiltrup, Allemagne, 1905. Manfred Steffmann, Möhnsee- Günne, Allemagne. H. : 111 cm. FIG. 25 : Henry Moore, Upright Internal/External Forms, 1952-53 © La Fondation Henry Moore. Reproduction avec l’autorisation de la Fondation Henry Moore. FIG. 26 : Henry Moore, Upright Internal/External Forms, circa 1935. © La Fondation Henry Moore. Reproduction avec l’autorisation de la Fondation Henry Moore.


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