Page 89

I-IVCoverF_CoverF Vuvi

87 direction de Budin. Lors de ses conversations avec les membres de la communauté, il insistait sur le fait que les objets d’art qu’il achetait seraient exposés dans un musée en Australie. Il se peut que les indigènes n’aient pas compris pas exactement ce que cela voulait dire, mais ce qui semble certain c’est que la plupart des artistes ne s’opposèrent nullement à l’idée de créer et de vendre des objets traditionnels qui sortiraient du Vanuatu et seraient vus par des personnes étrangères à la culture locale. Située au sud-est de Malekula, la ville de Lamap allait servir de base à Charpentier. Il put dès lors avoir accès à la plupart des communautés de l’île, et se mit en route. À Kamanliver, il ne parvint pas à commanditer ou acheter des objets, car le village était en deuil au moment de sa visite. À Yabkoetas, le chef Malaon donna son accord pour que plusieurs objets soient fabriqués en respectant certaines conditions, afin qu’ils reflètent correctement la tradition. La communauté du village de Menmenboas accepta relativement bien la présence de Charpentier, qui découvrit que ce lieu était un important centre rituel où il pourrait étudier et acquérir un certain nombre d’objets de qualité. Lors de son séjour à Menmenboas, Charpentier en apprit davantage sur les systèmes de croyance et les arts qui y sont liés auprès du chef Vrar et d’autres hommes qui appréciaient son intérêt pour leur culture. Kavinempur, un Menmenboas de haut rang, accepta de créer notamment une figure rambaramp. Au cours d’une autre expédition, Charpentier se rendit dans le village de Boroumvor, où il rencontra un talentueux sculpteur local du nom de Joel-Metak, qui allait devenir son L’art du Vanuatu guide à maintes reprises. Cette collaboration s’avéra fructueuse, même si, un jour, Charpentier dut voyager seul pendant dix heures pour atteindre le village de Lendamboe, car Metak n’avait pas voulu l’accompagner, de peur de susciter l’hostilité du clan.5 La volonté de Charpentier de constituer une collection d’art traditionnel n’était pas partagée par tous les habitants rencontrés à Malekula. Il fit part de sa déception lors d’une visite dans une communauté : « Ils ne sont pas très réceptifs, ils ne voient pas l’intérêt de préserver l’art de leurs ancêtres. » Ensuite, en parlant d’un artiste et de l’observation récurrente d’objets d’art de qualité correcte créés uniquement à des fins mercantiles, Charpentier écrivit : « Il refuse d’effectuer un travail meilleur, il les vendra à des représentants français qui ne se soucient pas de la qualité ou de la valeur de ces objets. Les coopératives de Port-Vila se chargeront de tenter de les vendre aux touristes. De tels agissements causeront la disparition de toute forme d’art digne de ce nom aux Nouvelles- Hébrides en moins d’un an. L’art a disparu à cause des personnes en charge de l’administration de ce pays. »6 Charpentier se heurtait, sans cesse, aux difficultés du peuple de Malekula pour comprendre le but de ses activités. Dans le village de Iapekamavis, on lui montra plusieurs sculptures nekempao réalisées à la hâte et de piètre facture, dans l’espoir qu’il les achèterait toutes. Charpentier dut expliquer qu’il constituait une collection particulière pour la future NGA et qu’il n’appliquait pas les mêmes critères que les collecteurs (des marchands) qui s’étaient rendus dans ce village auparavant, pour qui la quantité primait sur la qualité. Bien qu’il vît régulièrement des objets qu’il estimait de mauvaise qualité, il exprima tout de même sa joie et sa satisfaction dans certains passages de son journal, à l’aide des qualificatifs « excellent », « superbe » et « splendide ». Lorsque l’on exerce une activité de collecte sur le terrain, les périodes d’activité contrastent avec de longs et fréquents moments de calme passés dans des villages à attendre que les habitants reviennent de leurs occupations quotidiennes. Les problèmes logistiques posés par l’acquisition d’une multitude d’objets et leur entreposage dans un endroit sûr ponctuent également le voyage. Les objets d’art de Malekula s’avèrent particulièrement complexes du point de vue logistique, dans la mesure où bon nombre d’entre eux sont éphémères, car ils ont été créés pour des événements temporaires et ne sont donc pas censés durer. Charpentier découvrit que la pâte d’argile surmodelée que l’on trouvait sur de nombreux objets avait tendance à moisir. Pour y remédier, il engagea des hommes d’âge mûr pour alimenter, dans sa hutte de stockage, un petit feu devant se consumer lentement et éviter ainsi la dégradation des oeuvres. Dans chaque village, il recrutait des hommes pour transporter les objets aussi loin FIG 9 (PAGE PRECEDENTE, EN HAUT) : Metaniele, créé par Kamanlyk vers 1972, village de Lendamboe, île de Malekula, province de Malampa, Vanuatu. Bois, argile végétale, ocre et fibres. Acquis par J.-M. Charpentier pour le compte du Commonwealth Arts Advisory Board. National Gallery of Australia, 1971.207.157 Photo : National Gallery of Australia. Ces grandes plaques circulaires sont associées aux rites initiatiques des jeunes hommes, comprenant notamment la circoncision. Elles sont suspendues en haut de l’entrée de la maison des hommes, la namal, au cours des cérémonies initiatiques de la société secrète nalawan. La plaque a été surmodelée à l’aide d’argile végétale en un visage aux yeux protubérants et au nez proéminent symbolisant le pénis. Sur chaque côté du visage, on trouve des oiseaux qui, selon Charpentier, sont associés à la jeunesse et à la vie : les oiseaux transportent les fantômes des ancêtres depuis et vers le village, et des pièges étaient placés pour les capturer, afin qu’ils ramènent les esprits ancestraux au village. De nos jours, ces plaques sont rarement créées pour les cérémonies de circoncision – la dernière cérémonie où une metaniele fut utilisée eut lieu en 2001. FIG. 10 (CI-CONTRE) : L’artiste Kamanlyck à côté de la plaque metaniele fig. 9, village de Lendamboe, île de Malekula, Vanuatu, probablement en novembre 1972. Commonwealth Arts Advisory Board, Canberra (actuellement en la possession du South Australian Museum). Photo : J.-M. Charpentier. FIG. 11 (PAGE PRECEDENTE, EN BAS) : Vimpuri, créé par Ajningleu vers 1972, Île Tomman, province de Malampa, Vanuatu. Fougère arborescente, argile végétale, défenses de sanglier et ocre. Acquis par J.-M. Charpentier pour le compte du Commonwealth Arts Advisory Board. National Gallery of Australia, 1971.207.4. Photo : National Gallery of Australia. Porté par un homme, ce masque transformerait le danseur en un esprit inspirant crainte et respect. La figurine représente l’enfant de l’esprit et est associée aux cérémonies nalawan. L’autorisation de créer un vimpuri ne peut être accordée qu’après avoir offert quatre à cinq cochons à un homme qui a déjà réalisé un tel masque. Alors que l’esprit danse, un sacrifice d’un cochon de petite taille est réalisé au moyen d’un marteau ou d’une lance pour un cochon plus grand. Cette cérémonie nalawan est similaire à une cérémonie de passage de grade.


I-IVCoverF_CoverF Vuvi
To see the actual publication please follow the link above